Essais & idées

Les mots de Mariette Darrigrand : La retraite

Publié le : 08/03/2022

Lorsqu’il déclare prendre sa retraite en son château de Montaigne pour y méditer et écrire, l’auteur des Essais a trente-huit ans. Il vivra encore vingt et un ans, et fort occupé. Ecrivain, éditeur, maire de Bordeaux, diplomate, voyageur… On connaît l’emploi du temps surboooké de ceux qui ont quitté la vie professionnelle…

Un magazine féminin m’a récemment demandé de décrypter le mot « retraite », mais c’était dans le cadre d’un article sur le yoga… Se retirer quelques jours dans un lieu enchanteur quand on est stressé par son travail, en vue de se reconnecter à la nature et à son moi profond… Voilà le sens sensoriel que le mot tend à prendre aujourd’hui.

Il rappelle ainsi son origine religieuse. Quitter la vie sociale et s’éveiller au divin, à l’harmonie du monde, à l’ordre parfait de la nature… A l’élan vital que chacun porte en soi et peut développer à tout âge…

Mais le mot a aussi une toute autre branche : formé sur la traite au sens de salaire. La re-traite est le second salaire que l’on touche lorsqu’on ne travaille plus.
En français les deux mots – l’un immatériel, l’autre matérialiste -se sont amalgamés pour n’en former plus qu’un.

En espagnol ils sont encore séparés. El retiro n’est pas la jubilacion… Le statut est différent de la jouissance pécuniaire… Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est la façon dont le mot « retiro » s’est chargé de connotations artistiques. El Retiro est ale magnifique parc, luxuriant et vivant, dans lequel se trouve le musée du Prado à Madrid… L’art des jardins n’est jamais loin en Europe de l’art en général et de l’art de vivre en particulier…

Le français de la Renaissance connaissait d’ailleurs ce beau Retirement. Mais contrairement à l’anglais – the retirement – le français moderne ne l’a pas gardé.
Il a cru bon de retremper la notion dans la langue administrative. La retraite est devenue, dans les années 60, une catégorie du droit social. Acquisition chèrement payée d’ailleurs… Le déséquilibre était patent. Toute une longue vie de labeur n’était couronnée que par une courte vie de loisir. En moyenne 7 ans de retraite à l’époque. Moins que Montaigne… Actuellement c’est presque trente ans qui s’ouvrent devant celui ou celle qui prend sa retraite. Un vrai nouveau monde à habiter et arpenter…

Comme souvent, le progrès donne paradoxalement l’occasion de revenir à la source. Au départ, « retraite » est un terme de danse, d’escrime… Il désigne un mouvement que le corps opère vers l’arrière pour mieux reprendre son élan… Se redéployer vers de nouveaux objectifs…

« Retraite », regardons-bien ce mot car bientôt il aura disparu, remplacé une nouvelle fois par ses sens métamorphiques…

Par Mariette Darrigrand

Sémiologue et animatrice du blog www.observatoiredesmots.com

 

Rechercher sur le site