Bertrand Fougère
Professeur de Gériatrie, Faculté de Médecine / CHU Tours
Copilote « Grand défi dispositifs médicaux numérique et bien vieillir », Ministère de la santé et de l’accès aux soins
Est-ce que la France est consciente de vivre un vieillissement démographique sans précédent ?
Oui… on s’en rend compte. Déjà parce que qu’on peut l’observer. Ça peut paraître simple, mais en marchant dans la rue, on le perçoit : il y a plus de cheveux blancs, c’est visible « le tsunami gris ». Et puis on s’en rend compte aussi parce que ça commence à nous poser des questions concrètes : de plus en plus de retraités, la moyenne d’âge des patients toujours plus élevée, par exemple.
L’espérance de vie a largement augmenté depuis deux siècles. En 1850, elle était de 40 ans ! En 2025, c’est 85 ans pour une femme, et 80 ans pour un homme. On vieillit plus longtemps, on le sait, mais est ce qu’on l’accepte ? Pas vraiment. En théorie, on veut tous vieillir. Mais en pratique, tout le monde espère quand même rester jeune. C’est en ce sens que la France ne semble pas pleinement consciente du vieillissement de sa population : reconnaître cette réalité impliquerait d’accepter collectivement que l’on vieillit. Tout ça a des conséquences importantes, y compris sur nos politiques publiques. Tant que le vieillissement n’est pas pleinement reconnu, il est difficile de mettre en place des actions concrètes pour y répondre.
Et puis, qui désigne-t-on quand on parle de « vieux » ? Un sénior en entreprise de 45 ans ? Un néo-retraité de 64 ans ou un résident d’EHPAD de 87 ans ? Si on veut mettre en place des politiques publiques et des actions concrètes, il est important de savoir de qui on parle quand on parle des vieux. Entre 60 et 95 ans, il existe désormais deux générations distinctes avec des besoins et des aspirations différentes. Aujourd’hui, à 65 ans, certains ont encore la chance d’avoir encore leurs parents.
Comment se préparer à l’arrivée des premiers baby-boomers dans des âges de forte dépendance sur les prochaines années ?
Un mot clé : anticipation. S’il y a un mot à retenir c’est celui-ci. Il faut anticiper, que ce soit du côté des établissements sanitaires ou médico-sociaux, des politiques publiques… mais aussi du côté des clubs de sport, des théâtres, de la société en général. Les personnes elles-mêmes doivent aussi anticiper. Plus on anticipe sa possible perte de capacités fonctionnelles ou de perte d’autonomie, plus on reste citoyen de sa propre vie, et plus on décidera de continuer à vieillir selon ses souhaits. C’est ça aussi ce qui permet de mieux accepter son vieillissement. Se poser la question : comment est-ce que je veux vieillir ? De quoi ai-je envie ? C’est essentiel.
Parallèlement, il y a tout un volet de prévention qui doit être mis en place, notamment sur la santé. Par exemple, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a lancé le programme ICOPE – ça veut dire Integrated Care for Older People. L’idée, c’est de se concentrer sur six fonctions essentielles à préserver pour vieillir en bonne santé : la mémoire, la mobilité, la nutrition, la vue, l’audition et le moral. L’OMS propose de se tester tous les six mois à partir de 60 ans afin de repérer les premiers signes de diminution de capacités, réaliser une évaluation approfondie et enfin mettre en place un plan de soin personnalisé. L’objectif est de faire entrer les personnes dans un parcours de soin le plus précocement possible afin de maintenir leur autonomie le plus longtemps possible. C’est une démarche individuelle, bien sûr, mais avec un vrai impact collectif. D’après le chiffrage réalisé par la Cour des comptes en 2021, un gain d’un an d’espérance de vie sans incapacité ferait économiser environ 1,5 milliard d’euros dans les dépenses de l’assurance maladie.
Que faudrait-il pour que le vieillissement soit enfin considéré comme une politique publique transversale, au même titre que l’environnement, par exemple ?
Si on parle de politiques publiques, il faudrait surtout repenser la gouvernance pour la rendre plus forte, plus agile, interministérielle et surtout pilotée au plus haut niveau de l’État : par le Premier Ministre, voire par le Président de la République.
Je ne parle plus seulement de « vieillissement de la population », mais véritablement de « transition démographique ». Parce que ça permet de la mettre au même niveau que la transition écologique, ou numérique. Et il faut pouvoir emmener tous les ministères : santé, économie, sport, logement, culture, transport, travail… Enormément de choses sont liées à la transition démographique. On parle beaucoup des retraites, notre Président de la République souhaite un réarmement démographique : pourquoi ? Parce que la population vieillit et que le nombre de retraités vs le nombre d’actifs devient déséquilibré pour maintenir notre modèle social.
Et pourtant, quand on parle des personnes âgées, on pense encore trop souvent uniquement au « grand âge », aux plus de 85 ans dépendants en EHPAD. Mais c’est une toute petite partie de la population. L’âge moyen d’entrée en EHPAD, c’est 87 ans – donc pour un homme, il a déjà dépassé de 7 ans l’espérance de vie !
Le vieillissement, ce n’est pas que ça. Entre 60 et 80 ans, les seniors voyagent, sont bénévoles, souvent propriétaires… Ils ont un vrai poids économique positif. Et puis, il y a aussi tout le monde du travail. Comment fait-on pour permettre aux 50-60 ans d’être en emploi ? C’est là aussi qu’il faut agir !
Le vieillissement de la population doit cesser d’être perçu comme une « charge » ou un facteur de crise. Il est une formidable opportunité de repenser nos modèles, de réconcilier l’économie et le social, de redonner du sens à l’action publique en la rapprochant des besoins réels des citoyens. Il est également un levier puissant de développement économique.