Dans un rapport publié le 2 décembre, la Cour des Comptes analyse les conséquences du vieillissement démographique sur les comptes publics. Alors que la population en âge de travailler devrait reculer de plus de cinq points d’ici 2070, les dépenses liées au vieillissement – retraites, santé, dépendance – continueront de croître. Un “effet ciseau” qui viendrait peser lourd sur les finances publiques. L’institution recommande d’intégrer de manière plus systématique la démographie dans la gouvernance des finances publiques, sous peine de voir les réformes essentielles intervenir trop tard.
Une triple menace pour les finances publiques
Le rapport identifie trois canaux par lesquels la démographie affecte la capacité de financement public et la structure des besoins collectifs.
D’abord, le ralentissement de la croissance. Moins d’actifs, c’est mécaniquement moins de richesses produites. La population active pourrait se mettre à diminuer dès 2035, et baisser de 7% d’ici 2050.
La Cour estime que le vieillissement démographique amputera la croissance potentielle française de 0,2 point par an en moyenne jusqu’en 2070. Le sous-emploi des seniors aggrave encore la situation : à lui seul, il expliquerait 40 % du retard français face à l’Allemagne.
Vient ensuite l’érosion des recettes, avec des rentrées fiscales et sociales qui s’amenuisent au fil du temps. La proportion d’actifs par retraité ne cesse de diminuer : alors qu’il y avait 4 cotisants pour 1 retraité en 1960, ce ratio est tombé à 1,7 aujourd’hui. En 2050, il atteindra 1,4 et devrait continuer de baisser dans les décennies à venir. La structure même de la pyramide des âges joue contre les finances publiques : le vieillissement creuse mécaniquement le déséquilibre entre contributeurs et bénéficiaires du système social. Le rapport note aussi que l’immigration ne constitue pas forcément une réponse suffisante à ce déséquilibre. Sa contribution nette aux finances publiques demeure neutre ou légèrement négative en France, notamment en raison d’une insertion incomplète sur le marché du travail. A titre d’exemple, l’écart de taux d’emploi entre immigrés et non-immigrés atteint 18 points pour les 25-54 ans.
Dernier point : la déformation des dépenses. En analysant vingt-cinq années de comptes publics, la Cour met en lumière un basculement progressif vers les dépenses liées à l’âge. Les retraites en sont le principal moteur, mais la hausse attendue du nombre de personnes très âgées promet une nouvelle vague de dépenses de santé et de dépendance. Le rapport note ainsi que la dépense publique par tête est deux fois plus élevée pour les plus de 65 ans (40 000 euros par an, en moyenne) que pour le reste de la population. Or, la proportion des plus de 65 ans dans la population française va passer de 22% aujourd’hui à 30% dans les années 2070 selon les dernières projections de l’INSEE. Mécaniquement, le vieillissement de la population va donc entraîner une forte pression à la hausse sur la dépense publique. La Cour a calculé que plus de 40% de notre dépense publique est sensible au vieillissement de la population, un chiffre inédit qui permet de replacer dans une perspective démographique tous nos débats budgétaires.
L’absence qui pèse lourd
Au-delà des constats techniques, c’est surtout l’invisibilité de la question démographique dans le débat public qui est dénoncé par la Cour des Comptes. Les magistrats de la rue Cambon ont procédé à une analyse lexicographique de 10 ans de lois de programmation et programmes de stabilité qui révèle que la démographie ne représente que… 0,05% des occurrences ! Plus encore, ces quelques mentions apparaissent principalement dans les programmes de stabilité adressés aux institutions européennes, tandis que les textes strictement nationaux – rapports annexés aux lois de programmation et exposés des motifs – évacuent quasi systématiquement la question démographique. Le rapport parle d’une “forme de myopie”, formule polie pour expliquer que la politique publique navigue à vue face au retournement démographique inédit dans notre pays. La Cour appelle à en faire de la un élément systématique de la programmation budgétaire de moyen et long termes.
Ce décalage entre perception et réalité peut conduire à retenir des projections financières trop optimistes. La France est un pays de vieux qui se prend pour un pays de jeunes, résume Maxime Sbaihi, directeur stratégique du Club Landoy. Nous devons le réaliser pour s’adapter à cette nouvelle donne démographique. Ce basculement démographique partage avec le réchauffement climatique un triple caractère : vertigineux, progressif et inéluctable. Mais il ne suscite – pour l’instant – ni mobilisation politique ni débat public à la hauteur des enjeux.
Face à ce défi, certaines organisations choisissent de ne pas attendre. Depuis 2019, nous rassemblons des entreprises qui ont fait le pari de l’anticipation plutôt que de la réaction. Un collectif qui travaille sur quatre fronts : l’inclusion à tout âge dans le travail, la santé et la prévention, l’éducation financière, et la formation continue, parce que les bouleversements démographiques ne se résoudront pas seuls, et parce qu’ils appellent des réponses concrètes et collectives.