Le secteur bancaire peinerait-il à susciter des vocations ? Longtemps perçu comme un bastion de stabilité et d’ascension sociale, il attire de moins en moins de candidats… et voit ses collaborateurs s’éloigner. En toile de fond, une pyramide des âges déséquilibrée : plus de 18,5 % des salariés du secteur ont aujourd’hui plus de 55 ans, selon l’Observatoire des métiers de la banque.
À cette pression démographique s’ajoute la complexification des métiers, dans un contexte d’accélération numérique et de montée en compétence permanente. Résultat : les départs se multiplient. En 2021, la démission était devenue la première cause de rupture des contrats à durée indéterminée, selon l’Association française des banques (AFB) — hors réseau mutualiste.
Des agences moins fréquentées, des conseillers peu sollicités
Les agences bancaires ont perdu leur centralité. Si les Français conservent une bonne image de leur banque et de leur conseiller à 89%, ils n’en franchissent plus les portes. En 2007, 62 % des clients s’y rendaient plusieurs fois par mois. Ils ne sont plus que 9 % aujourd’hui (étude Ifop pour la Fédération bancaire française, 2024).
Côté relation, un tiers des Français ne sollicitent jamais leur conseiller, et 20 % le font moins d’une fois tous les deux ans, tout en estimant bien gérer leurs finances personnelles (Baromètre ViveS Média, les femmes et l’argent, 2025).
Cette apparente maîtrise repose toutefois sur un paradoxe plus diffus : à l’heure où l’information circule en permanence, nombreux sont ceux qui pensent en savoir suffisamment – sans toujours éprouver le besoin de confronter leurs choix. Néanmoins, face à des clients de plus en plus autonomes, parfois mieux informés qu’eux sur des problématiques spécifiques, les conseillers ne sont plus des experts uniques, mais deviennent accompagnateurs, à l’écoute de clients de plus en plus exigeants. Cela est particulièrement vrai pour une clientèle CSP+, habituée à une relation plus horizontale, plus collaborative. De plus, désormais 96 % des clients utilisent les services en ligne pour suivre leurs comptes, gérer leurs transactions ou budgétiser leurs dépenses.
Digitalisation : une rupture dans la relation
La numérisation du secteur bancaire ne date pas d’hier, mais le COVID a agi comme un catalyseur. Grâce aux outils digitaux, aux plans de continuité d’activité et au télétravail, les banques ont pu maintenir leurs services pendant les confinements. Ce contexte exceptionnel a, en retour, accéléré l’adoption d’outils numériques en interne : généralisation du télétravail, dématérialisation des procédures, multiplication des plateformes collaboratives, etc.
Côté client, le mouvement est encore plus net. Tous les publics, quel que soit leur âge, utilisent désormais les canaux numériques pour gérer leurs produits bancaires ou effectuer des paiements. Certaines tâches autrefois confiées au conseiller — commander une carte, augmenter un plafond — sont aujourd’hui réalisables en quelques clics.
En parallèle, les néobanques bousculent le paysage. Plus légères, moins chères, 100 % mobiles, elles incarnent une promesse de simplicité et d’autonomie. Résultat : les banques traditionnelles, souvent à marche forcée, ont accéléré leur digitalisation… au prix d’un recul du lien humain. Moins de passages en agence, moins de conversations, moins d’échanges. Et, pour certains clients, une question qui émerge : à quoi sert encore un conseiller bancaire ?
Quand l’IA redéfinit les contours des métiers bancaires
Faut-il redouter que l’intelligence artificielle supprime les métiers bancaires ? La réponse mérite d’être nuancée. Une récente étude de la Fédération bancaire française montre que l’IA générative ne remplace pas les fonctions existantes, mais transforme en profondeur les manières de faire, les compétences requises, et les contours mêmes de certaines professions. Elle touche à la fois les métiers de la relation client, du juridique, du marketing, de la comptabilité, du contrôle, des ressources humaines, du management — sans oublier les fonctions directement liées à la conception ou à la supervision des modèles d’IA.
Déjà en 2022, la Banque de France notait que les clients digitalisés exprimaient de nouvelles attentes : des outils simples, sécurisés, disponibles sur plusieurs canaux ; des parcours fluides et flexibles ; une assistance immédiate, y compris en dehors des horaires traditionnels ; une relation client capable de conjuguer personnalisation et autonomie
On a longtemps cru que l’automatisation ne concernerait que les tâches répétitives. Or, l’IA bouleverse aussi les métiers de l’expertise. Les « cols blancs », ces travailleurs de bureau — cadres, experts, consultants — se retrouvent eux aussi sur la ligne de front. Les capacités de l’IA impressionnent par leur polyvalence : elle répond, programme, génère des visuels, synthétise des contenus, analyse des volumes massifs d’informations en quelques secondes. Ce sont précisément ces compétences qui étaient jusqu’alors le propre des professions qualifiées. Un rapport du Burning Glass Institute montre que les emplois les plus touchés par l’IA ne sont plus ceux des exécutants, mais bien ceux des experts : juristes, consultants, cadres. Dans le secteur bancaire, les fonctions relation client sont en première ligne. Pourquoi conserver un conseiller quand un chatbot peut faire (presque) aussi bien, à moindre coût ?
Philippe Aghion, économiste et coprésident de la commission IA, rappelle que l’intelligence artificielle peut constituer un puissant levier de productivité. Dans certaines entreprises, les salariés utilisant un assistant IA voient leur efficacité progresser. Ces gains ne concernent pas uniquement les tâches simples ou répétitives : ils s’observent aussi chez les consultants, les avocats, les métiers d’expertise.
Il faudra donc apprendre à faire avec. Le risque principal n’est pas tant d’être remplacé par une machine, que par un collègue qui saura mieux tirer parti de cette machine. Dans ce contexte, freiner l’adoption de l’IA serait contre-productif : nos banques doivent évoluer, au même rythme que leurs homologues étrangères, pour rester compétitives. L’enjeu n’est pas de freiner le changement, mais de s’y préparer, avec lucidité.
La question de l’intelligence artificielle ne peut être dissociée de celle, plus large, de la transition démographique. Le secteur bancaire, comme d’autres, voit partir une génération entière de salariés expérimentés, souvent sans réelle stratégie de transmission. Dans ce contexte, l’IA est autant une réponse qu’un révélateur : elle pallie certains manques, mais ne peut remplacer la mémoire vive des organisations. À l’heure où l’expertise devient une ressource rare, savoir conjuguer innovation technologique et valorisation de l’expérience humaine sera sans doute l’un des grands défis des années à venir.