Souvent cité en exemple pour sa gestion économique efficace, le Danemark a réussi, depuis les années 1990, à diviser par deux son taux de chômage, pourtant équivalent à celui de la France à l’époque. Ce succès s’est accompagné du maintien d’un haut niveau d’emploi chez les femmes, les jeunes et les seniors. Il est en grande partie attribué à la mise en œuvre du modèle dit de « flexisécurité » : un système alliant flexibilité du marché de l’emploi, indemnisation généreuse du chômage, et obligations strictes en matière de recherche d’emploi et de participation à des formations.
Le rôle des emplois publics – qui représentent environ 30 % de la population active – et d’un dialogue social solide entre syndicats et patronat, est également central. Le système d’indemnisation du chômage, géré en grande partie par les syndicats, facilite la mise en œuvre de politiques dites d’activation, comme les formations ou les emplois d’insertion dans le secteur public. (COR, 2020)
C’est dans ce même esprit d’anticipation et de compromis que s’inscrit le système de retraite danois, considéré comme l’un des plus robustes au monde. Selon le Melbourne Mercer Global Pension Index 2024, le Danemark se classe à la deuxième place des 39 systèmes évalués, juste derrière les Pays-Bas, et loin devant la France, qui n’occupe que la 20e position. Y’a-t-il une recette miracle danoise pour les retraites ?
Un système de retraite solide et anticipateur
La spécificité danoise en matière de retraite repose sur un mécanisme inédit en Europe : l’indexation automatique de l’âge légal de départ sur l’espérance de vie. Ce principe a été introduit dès 2006, à travers un accord de protection sociale, adopté par une large majorité au Parlement. Il marque une rupture : pour la première fois, un pays formalise l’idée qu’il faudra travailler plus longtemps… parce que l’on vit plus longtemps.
La réforme prévoit que tous les cinq ans, une révision de l’âge de départ soit effectuée en fonction des données démographiques les plus récentes. Cette règle de réexamen quinquennal inscrit la retraite dans une logique d’ajustement régulier, quasi mécanique.
La réforme de 2011 renforce le principe d’indexation et précise son calendrier : tous les cinq ans, le Parlement devra se prononcer sur une hausse de six mois à un an de l’âge légal. Autrement dit, chaque génération partira un peu plus tard que la précédente, dans une logique de prévisibilité et d’équité intergénérationnelle. À l’horizon 2050, l’âge de départ atteindra donc 72 ans, soit cinq années de plus qu’aujourd’hui.
À la différence de la France, dont le système reste sous tension (le déficit du système de retraites français est estimé à 0,2 % du PIB à l’horizon 2027, selon le Conseil d’orientation des retraites), le modèle danois repose sur une base financière plus robuste. Cette stabilité est notamment due à un système mixte qui combine retraite publique universelle, fonds de pension obligatoires par capitalisation gérés par les partenaires sociaux, et épargne individuelle facultative (COR, rapport annuel 2023).
En termes de contribution, les cotisations retraite des Danois représentent en moyenne 12 à 15 % du salaire brut, selon l’OCDE, avec une part importante gérée en dehors du système fiscal classique, via des fonds de pension sectoriels. À titre de comparaison, un salarié du secteur privé en France contribue à hauteur de 27,9 % de son salaire brut au titre de la retraite, partagée entre employeur et employé (OCDE, Pensions at a Glance 2023).
Un consensus politique et syndical rare en Europe
En 2003 déjà, un comité d’experts avait été chargé d’examiner l’avenir du système. Signe d’un climat politique et social apaisé, les syndicats danois — qui regroupent plus de 80 % des salariés — ont soutenu la réforme dès son lancement en 2006.
Ce modèle a qui interpelle a pu inspirer certains responsables politiques français. Avant l’ouverture du débat officiel sur la réforme des retraites en France, le fameux conclave, Valérie Pécresse avait évoqué cette idée d’indexation automatique. Lors d’un colloque de son mouvement Libres ! à la Maison de la chimie, elle proposait de relier l’âge de départ à l’espérance de vie, sans distinction entre hommes et femmes. Selon elle, une loi unique suffirait : à chaque année de vie gagnée, deux ou trois mois de travail supplémentaires. Elle avait aussi évoqué l’idée que l’espérance de vie en bonne santé pourrait aussi servir de référence, même si « la retraite, on la touche même lorsque l’on n’est pas en bonne santé ».
L’espérance de vie en bonne santé, en progression, soulève aussi des interrogations au Danemark. Un certain nombre d’actifs se disent réticents à prolonger leur activité, notamment dans les métiers physiques. Pour ceux ayant passé plus de 42 ans sur le marché du travail, un dispositif permet de partir plus tôt, avec un départ anticipé compris entre un et trois ans.
De plus, ce n’est pas la durée d’activité qui détermine le droit à une pension publique à taux plein, mais le nombre d’années de résidence. Il faut avoir vécu quarante ans dans le pays pour y prétendre. Ce critère, jugé plus égalitaire, évite de pénaliser les personnes — notamment les femmes — aux carrières discontinues.
Ce système repose sur un haut niveau de solidarité. Cette générosité a un coût, qui se traduit par des contributions salariales relativement élevées. Comme ailleurs, le Danemark est confronté aux conséquences du vieillissement de sa population. Le défi ne réside plus uniquement dans le report de l’âge légal de départ. Il s’agit désormais d’un enjeu plus large : remettre en emploi les seniors exclus du marché du travail, adapter les conditions de travail au vieillissement de la main-d’œuvre, anticiper la montée des métiers du soin, et réduire les inégalités sociales face à la longévité. À cet égard, le Danemark ne fait pas exception, même s’il conserve, pour l’instant, une longueur d’avance dans la préparation des transitions à venir. Il a réussi à dépolitiser la question de l’âge de départ à la retraite pour épouser la nouvelle pyramide des âges. En France, il y a encore du chemin à parcourir pour y arriver.