Interviews

Publié le : 18/12/2025

L’Autorité des marchés financiers (AMF) vient de publier son baromètre 2025 de l’épargne et de l’investissement, qui révèle des mutations dans les comportements des épargnants français. Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF, a accepté de décrypter pour le Club Landoy ces évolutions et les nouveaux enjeux qui en découlent.

Le conseiller bancaire reste la première source d’information des Français avant un placement (42 %), mais perd 6 points en un an. Parallèlement, de nouveaux acteurs émergent sur les réseaux sociaux. Dans un environnement en profonde transformation, quelle est la priorité de l’AMF ?

Le paysage de l’épargne est en pleine mutation, marqué par l’émergence de pratiques et d’acteurs nouveaux. La dernière édition du baromètre AMF de l’épargne et de l’investissement, que nous venons de publier, met en évidence plusieurs évolutions notables.

Tout d’abord, elle révèle la place de l’intelligence artificielle comme source d’information avant d’investir. 11 % des Français se tournent vers l’intelligence artificielle (IA) analysée pour la première fois dans le Baromètre, devant les réseaux sociaux (6 %) et les influenceurs (4 %) mais encore loin derrière le conseiller financier ou bancaire (42 %, après 48 % en 2024).

Elle témoigne également de l’intérêt croissant des Français pour les placements en Bourse. Ainsi, 35% des Français envisagent de souscrire des placements en actions au cours des 12 prochains mois, en hausse de 5 points par rapport à l’année précédente.

Comprendre les évolutions pour pouvoir adapter notre action de régulation et de protection des investisseurs est clé. Nous fonctionnons toujours selon cette double approche : comprendre et agir. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons publié en 2023 avec l’OCDE une étude qui dresse le portrait des nouveaux investisseurs particuliers français. Ces nouveaux investisseurs sont ceux qui ont commencé à investir après le COVID. Ils s’informent notamment via les réseaux sociaux et les influenceurs, qui constituent un canal nouveau dont la fiabilité n’est pas toujours garantie, contrairement au conseiller bancaire, dont l’activité est strictement encadrée et dont les échanges avec les clients font l’objet d’une réglementation précise.

En parallèle, de nouveaux risques se développent avec la gamification de l’investissement, qui tend à gommer la frontière entre le jeu et l’investissement et à réduire la perception du risque. Face à ces évolutions, l’AMF a adapté sa stratégie d’éducation financière en réalisant notamment une campagne innovante, dédiée aux jeunes investisseurs : « Les mystères d’Investipolis », inspirée de l’univers du jeu vidéo et de la bande dessinée. Elle y aborde ces nouvelles thématiques afin de sensibiliser les jeunes investisseurs aux réflexes inconscients qui peuvent influencer leurs décisions d’investissement. C’est important d’être un acteur qui sait parler de ces enjeux-là, car il faut protéger les investisseurs d’aujourd’hui, et de demain.

Au niveau de la réglementation, la France est assez précurseur sur l’encadrement de ces nouvelles sources d’information. Par exemple, la publicité pour les produits financiers risqués est interdite. L’AMF a également conçu en partenariat avec l’ARPP, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, un module de formation destiné aux influenceurs avec pour objectif d’aider à la professionnalisation de l’influence commerciale, activité désormais encadrée par la loi. La France a un ADN assez fort sur la protection des investisseurs.

Dans ces nouvelles façons de s’informer, il y a du bon et du mauvais. Le plus important reste de diversifier et de croiser ses sources d’informations.

Votre Baromètre 2025 révèle que l’IA s’impose progressivement dans les décisions financières des Français. Y a-t-il des points de vigilance liés à l’IA sur lesquels les investisseurs doivent être attentifs ?

C’est la première année que l’AMF inclut des questions sur l’IA dans son baromètre. Cela fait quelques années que nous voyons le sujet émerger, notamment comme source d’information auprès des particuliers. Notre étude a en effet révélé que l’IA est, pour 11 % des personnes interrogées, une source d’information avant d’investir. Attention, pour la grande majorité d’entre eux (95%), cet outil est utilisé comme source d’information complémentaire. L’intelligence artificielle peut aussi être imaginée comme une façon de diversifier ses sources. Un point d’attention néanmoins : il convient d’alerter le secteur financier et les investisseurs sur les limites de l’IA. Elle a tendance à refléter une opinion générale et peut également produire des hallucinations, c’est-à-dire des informations erronées présentées avec assurance. Une vigilance particulière s’impose donc sur ce point. Au niveau européen, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) est très active sur ces sujets. Le comité de protection des investisseurs à l’ESMA, que je préside, a déjà commencé à émettre des avertissements auprès des investisseurs.

Au-delà des chiffres, quel est le grand enseignement de ce baromètre pour l’éducation financière ?

Parmi les principaux enseignements de ce baromètre, un signal particulièrement encourageant se dégage : l’intérêt croissant pour l’investissement en actions. Cette évolution est une excellente nouvelle dans la mesure où les économies française et européenne ont besoin d’investissements pour financer leur digitalisation, la transition énergétique ou encore l’effort de défense. Ces investissements ne sauraient provenir exclusivement des finances publiques.

Pour autant, cette dynamique positive appelle à la vigilance sur plusieurs points.

L’IA en est un. Aujourd’hui, son rôle est modéré dans la mesure où elle n’est pas utilisée comme unique source d’information. Mais ce constat confirme néanmoins la place grandissante qu’elle prend sur les marchés financiers et auprès des épargnants

Un second point de vigilance concerne les femmes, qui continuent à sous-investir. Ce n’est bon ni pour elles, ni pour l’économie. Lorsqu’on épargne mais qu’on n’investit pas, on ne prépare pas son avenir financier.

Mots-clés

Rechercher sur le site