Par François-Xavier Albouy
Economiste, directeur de recherche à la chaire Transitions économiques, transitions démographiques de Paris-Dauphine
Brut ou net, qu’est-ce à dire ? Champagne brut on comprend, poids brut aussi, mais salaire net ? C’est-à-dire sans sucre et sans emballage ? Ce net n’est pas très clair, c’est un net ambigu. Dès lors, l’impression s’impose vite d’un Moloch avide qui réduit le revenu disponible et pénalise les entreprises et les salariés.
La confusion grandit avec cette autre distinction très française entre brut salarial et brut patronal. En fait, les cotisations sont assises sur le travail et toutes les cotisations sont payées à partir de la valeur que créée le travail. Il n’y a pas une part patronale et une part salariale, il y a une partie de la valeur créée qui est consacrée à la protection sociale. Et même si, comme dans certains pays, ce sont les impôts qui contribuent le plus au financement de la protection sociale, ces impôts sont en définitive payés par le secteur productif qui paye les citoyens. Il n’y a pas de miracle et de valeur qui tombe du ciel. En dernier ressort, il n’y a que l’entreprise qui paye la protection sociale. La division ente cotisations sociales et patronales entraine une confusion qui ne repose sur rien.
Autre source de confusion, quand quelqu’un considère son net il considère son revenu disponible en oubliant que les retraites ou la santé constituent tout autant des revenus. Si jamais, cela n’était pas le cas, il devrait payer depuis son revenu « net » des assurances de base retraite et santé. Ce qui fausse souvent les comparaisons internationales puisque certes les salaires apparents sont plus élevés dans des pays qui nous sont proches, mais on oublie que dans ces pays, les ménages payent directement ces assurances de base.
Cette confusion en amène une autre, la supposée importance de l’assistanat dans notre protection sociale, là aussi les mots sont trompeurs. Par exemple, on parle de retraite par répartition, mais c’est bien une répartition entre actifs et retraités, et non pas entre riches et pauvres. A peu de choses près, les pauvres ont des retraites de pauvres et les riches des retraites de riches, pour lesquelles, ils ont d’ailleurs cotisé…
Toutes ces confusions et ambigüités font que les ménages ont du mal à comprendre ce qu’il va leur arriver à la retraite. Ils n’anticipent pas bien la perte de revenus et ne voient que la liberté qui leur est donné. Ils ne voient pas non plus que cette liberté, l’oisiveté et la solitude les entraînent souvent à toute vitesse vers un vieillissement prématuré.
Qu’est-ce qu’il faut pour que ces jeunes retraités et particulièrement les cadres, continuent sous des formes qui leur conviennent à créer de la valeur ? Ici, la lutte contre l’âgisme et la pénibilité sont essentielles. Mais, il faut peut-être aussi qu’on leur explique que leurs retraites ne représentent pas 70% de leurs revenus d’activité, mais en fait moins de 35% de tout ce qu’ils étaient payés directement et indirectement, si on prend en compte la totalité de leurs rémunérations (salaires chargés et brut patronal) !
Certes, ils n’ont plus par définition à cotiser pour leurs retraites, mais il n’empêche ! Réalisent-ils que leur valeur économique et donc leur valeur sociale a presqu’été divisée par trois ? A partir de là, ils peuvent être sensibles au fait que les entreprises ont besoin de leurs compétences dans la gestion ou le financement de projet, la formation, l’appui à l’exportation ou à la transmission d’entreprises… Et s’ils réalisent qu’étant assurés d’un revenu de base grâce à leurs pensions, ils peuvent offrir leurs services à temps partiel avec des rémunérations sous la forme d’un intéressement, alors ils deviennent très attractifs et sont certainement des embryons de solution pour des suppléments de croissance et pour contribuer à l’équilibre de nos comptes sociaux et de nos comptes extérieurs…