Analyse

Emploi des seniors :  que contient le projet de loi présenté au Sénat le 5 juin ?

Publié le : 28/05/2025

Le 7 mai dernier, le gouvernement a présenté en Conseil des ministres un projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) en faveur de l’emploi des salariés expérimentés. Ce texte sera débattu au Sénat les 4 et 5 juin prochains. L’enjeu est clair : enrayer la désaffiliation progressive des seniors du marché du travail. Mais que contient ce texte, et que peut-on en attendre ?

L’ANI devenu projet de loi

Avant de détailler les mesures proposées, un détour par le cadre s’impose. Qu’est-ce qu’un ANI, et pourquoi est-il au cœur du projet de loi présenté début mai ?

L’acronyme désigne un accord national interprofessionnel. Concrètement, il s’agit d’un texte négocié entre syndicats et organisations patronales représentatives, portant sur des sujets transversaux : conditions de travail, emploi, formation, dialogue social. Sa vocation est de fixer un cadre partagé à l’échelle nationale, applicable à toutes les entreprises, tous secteurs confondus.

Certains ANI ont une portée directement normative, lorsqu’ils sont étendus par arrêté ministériel. D’autres s’inscrivent dans une logique préparatoire à la loi. C’est ce second cas de figure qui prévaut ici.

Lorsqu’il envisage une réforme, le gouvernement peut adresser un document d’orientation aux partenaires sociaux. Ces derniers sont alors invités à ouvrir une négociation. Si un accord est trouvé,l’ANI peut ensuite être transposé dans la loi.

C’est dans ce cadre qu’a été lancé, courant 2024, un cycle de négociations consacré à l’emploi des seniors. Objectif : identifier collectivement des leviers pour favoriser le maintien en emploi et le retour à l’emploi des salariés expérimentés.

Le 14 novembre 2024, un ANI a été signé par le MEDEF, la CPME, l’U2P, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC. Un accord unanime, rare dans le paysage social français.

Le gouvernement a choisi de transposer ce texte dans un projet de loi, présenté en Conseil des ministres le 7 mai par Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l’Emploi. L’examen parlementaire débutera au Sénat les 4 et 5 juin prochains.

L’accord s’articule autour de quatre axes majeurs :renforcer le dialogue social de branche et d’entreprise, structurer la seconde partie de carrière, lever les freins au recrutement des seniors et faciliter les aménagements de fin de carrière.

Mais quelles sont, précisément, les mesures concrètes contenues dans ce texte ?

Un nouveau contrat pour relancer l’embauche après 60 ans : le CVE

Parmi les mesures phares issues de l’accord, l’expérimentation d’un nouveau contrat de travail : le contrat de valorisation de l’expérience (CVE), présenté comme un outil concret pour favoriser le retour à l’emploi des seniors.

Ce contrat, à durée indéterminée, sera réservé à un public ciblé : les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail âgés d’au moins 60 ans, ou dès 57 ans si un accord de branche le prévoit. Sa mise en œuvre sera expérimentée pendant cinq ans.

Deux spécificités majeures le distinguent du CDI classique :

  • L’employeur pourra mettre fin au contrat lorsque le salarié atteint l’âge ouvrant droit à une retraite à taux plein, ce qui introduit une souplesse dans la gestion de fin de carrière.
  • Une exonération temporaire : pendant trois ans, l’employeur sera dispensé de la contribution patronale de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite. Une mesure incitative, pensée pour alléger le coût d’embauche.

Ce dispositif est présenté par la ministre du Travail comme une alternative équilibrée à d’autres propositions, plus ambitieuses financièrement. Son coût est estimé à 123 millions d’euros par an, soit sept fois moins que le CDI senior proposé en 2023, évalué à 800 millions d’euros, et finalement écarté.

Structurer les parcours et anticiper les transitions : un suivi renforcé dès 45 ans

Au-delà des incitations à l’embauche, le projet de loi s’attaque à un autre point sensible : le manque d’anticipation dans la gestion des carrières longues. L’une des orientations majeures de l’accord concerne le renforcement du suivi professionnel à mi-parcours, afin de mieux préparer les secondes parties de carrière et les fins d’activité.

Deux jalons structurants devraient être introduits :

  • Un premier entretien professionnel autour de 45 ans, quel que soit le niveau d’ancienneté dans l’entreprise.
  • Un second, entre 58 et 60 ans, pour organiser la transition vers la retraite et prévenir les situations de décrochage.

L’entretien de mi-carrière, déjà prévu par la réglementation, serait ici renforcé dans sa portée. Il s’accompagnerait notamment d’une visite médicale. L’objectif : adapter le poste ou aménager les conditions de travail, en cas de besoin, tout en abordant de manière globale les questions de santé, de compétences et d’évolution professionnelle.

En parallèle, les branches professionnelles, ainsi que les entreprises de plus de 300 salariés, auront l’obligation d’engager une négociation spécifique tous les quatre ans sur le thème de l’emploi des salariés expérimentés. Ce cadrage vise à ancrer le sujet dans le dialogue social de long terme, et non comme une problématique ponctuelle.

Enfin, le texte prévoit de faciliter les aménagements de fin de carrière, en assouplissant les conditions d’accès à la retraite progressive. Celle-ci deviendrait accessible dès 60 ans (contre 62 aujourd’hui). Un salarié pourrait, par exemple, passer à temps partiel tout en percevant une fraction de sa pension. Le maintien du niveau de rémunération serait possible grâce à l’affectation, en tout ou partie, de l’indemnité de départ à la retraite, dans des conditions définies par accord collectif.

Aujourd’hui, cette modalité reste marginale : seules 24 000 personnes y avaient recours en 2022 (Drees). Le projet de loi espère en faire un outil plus lisible, plus incitatif, et plus utilisé dans la pratique.

Changer la loi, changer le regard

Derrière ces mesures techniques, c’est un changement plus large qui doit se dessiner : celui du regard porté sur l’emploi après 60 ans.

En France, jusqu’à 59 ans, le taux d’emploi est de 77 % – un niveau comparable à celui des pays considérés comme exemplaires en matière d’emploi des seniors : Suède, Pays-Bas, Allemagne  Mais entre 60 et 64 ans, il chute à 38,9 % (Ministère du Travail). Comment expliquer un tel décrochage ?

D’abord, les représentations négatives liées à l’âge continuent de peser sur le marché du travail. Selon le Baromètre Landoy 2024, la première source de discrimination à l’embauche est l’âge – devant même le handicap. Le seuil critique ? 50 ans. C’est à cet âge que se cristallisent les freins au recrutement, à la formation, au maintien dans l’emploi. Et une fois sorti du marché du travail, le retour devient particulièrement difficile.

S’ajoute à cela un poids historique : l’instauration, en 1982, d’un âge légal de départ à la retraite fixé à 60 ans. Cette norme – maintenue jusqu’en 2010 – a profondément marqué les trajectoires professionnelles et continue de structurer les anticipations.

Se dessine ce qu’on pourrait appeler un effet horizon : à partir de 55 ans, de nombreux salariés commencent à se projeter hors de l’emploi, souvent bien avant le seuil effectif de départ. Le système lui-même a longtemps renforcé cette dynamique, à travers une série de dispositifs permettant une sortie progressive — mais rarement préparée — du marché du travail. 

Le pari du dialogue social

Dans un contexte de défiance sociale et de tensions post-réforme des retraites, ce texte se distingue par sa méthode. Il est le fruit d’une négociation collective. L’exécutif met en avant ce « pari du dialogue social » comme un gage de légitimité et de faisabilité.

Mais cette approche, si elle est saluée pour sa légitimité démocratique, ne garantit pas à elle seule l’effectivité des réformes. Plusieurs questions demeurent : les entreprises s’empareront-elles réellement des outils mis à leur disposition ? Le CVE sera-t-il utilisé ? Les entretiens de mi-carrière organisés ? Les départs progressifs favorisés ?

C’est ici que se joue la suite. Ce projet de loi pose un cadre, mais ne produit pas de résultats mécaniques. Il engage, mais n’impose pas. Il repose in fine sur la capacité des entreprises, des branches et des acteurs territoriaux à transformer l’essai.

Au Club Landoy, nous considérons que ce type de réforme marque une avancée – à condition qu’elle s’accompagne d’un changement de culture plus profond. 

La suite dépendra de notre capacité collective à faire évoluer les représentations, à lever les freins culturels, et à inscrire durablement les seniors dans le présent – et non à la marge – du monde du travail.

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