Ce mardi 29 avril, le ministère du Travail organisait un colloque consacré à l’emploi des 50 ans et plus, en partenariat avec l’ANDRH, AEF Info, Les Entreprises s’engagent, France Travail, l’APEC… et le Club Landoy. Derrière le titre volontariste de l’événement — « Emploi des 50+, le passage à l’action » —, un constat : face aux défis démographiques, économiques et sociaux, la mobilisation des seniors n’est plus une option. Elle devient une nécessité. « Nous devons travailler plus, mieux et un peu plus longtemps », a prévenu Astrid Panosyan-Bouvet, Ministre du Travail et de l’Emploi, en ouverture de la journée.
Pendant des décennies, la France a promu les sorties précoces de l’emploi comme levier d’ajustement sur le marché du travail. « Depuis les années 70, nous avons roulé à contre-sens », a rappelé Vincent Touzé, économiste à l’OFCE. Cette stratégie malthusienne — écarter les plus âgés pour faire de la place aux plus jeunes — s’est révélée contre-productive et nous continuons d’en payer le prix alors que les pénuries de main d’œuvre se font déjà ressentir. Maxime Sbaihi, économiste et directeur stratégique du Club Landoy a rappelé que certaines professions, notamment les aides à domicile et assistants maternels, sont confrontées à des départs massifs sur la décennie 2020-2030. Cela pose un double défi aux entreprises. D’un côté, il s’agit de compenser ces pertes, de l’autre, il faut créer des emplois adaptés à une population vieillissante, dans une société où la population active devrait commencer à décliner dès 2036 (INSEE) voire même avant.
Depuis plusieurs années, la France commence à combler son retard. Depuis 2008, le taux d’emploi des 55-64 ans en France a connu une progression notable : près de 20 points en l’espace de quinze ans. Un rattrapage amorcé qui concerne surtout les 55-59 ans. Cette dynamique reste toutefois fragile, et la France demeure l’un des pays européens les plus en retard sur l’emploi des seniors, derrière l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore certains pays du Sud.
En parallèle, les représentations sociales évoluent plus lentement. « À partir d’un certain âge, on anticipe qu’on doit partir. Cela alimente un narratif où l’âge signifie déclin de productivité », analyse Vincent Touzé. Cette culture de la précocité reste profondément ancrée dans les mentalités françaises, tant du côté des employeurs que des salariés. Elle entretient une forme d’auto-censure, et contribue à invisibiliser les seniors dans les politiques de carrière, comme dans les trajectoires professionnelles.
Prévention de l’âgisme : la zone grise du recrutement
L’étude présentée par Brice Teinturier (Ipsos) lors du colloque vient apporter un éclairage sur ces dynamiques. Menée auprès des DRH d’entreprises françaises, elle dresse un état des lieux contrasté de l’intégration des salariés expérimentés.
Premier enseignement : les 50 ans et plus représentent déjà en moyenne 35 % des effectifs dans les entreprises interrogées, mais cette présence importante ne s’accompagne pas, ou peu, de dispositifs RH adaptés. Seuls 26 % des DRH déclarent avoir mis en place des politiques spécifiques pour cette tranche d’âge, et les outils de suivi (plans d’action, accords GEEP) sont loin d’être généralisés.
Ces dispositifs sont surtout l’apanage des grandes structures : plus de 70 % des entreprises de plus de 5000 salariés en disposent, contre à peine 18 % chez les TPE-PME.
La prévention des discriminations liées à l’âge reste marginale dans les processus de recrutement. Moins de 40 % des entreprises ont mis en place des formations sur ce sujet, principalement dans les très grandes structures. Et lorsque ces formations sont absentes, on invoque souvent… leur inutilité. Pour 26 % des DRH interrogés, la compétence prévaut sur tout autre critère.
tout autre critère.
Les politiques de recrutement dédiées aux seniors restent très rares : seules 8 % des entreprises en ont conçu, alors même qu’un quart d’entre elles admettent qu’il faudrait des modalités spécifiques. En toile de fond, des freins bien identifiés, souvent nourris par des stéréotypes : crainte d’une rémunération trop élevée, doute sur la capacité d’adaptation à la culture d’entreprise, etc.
Là où l’optimisme demeure, c’est sur le rôle des seniors dans la transmission des compétences. Pour 80 % des DRH, la cohabitation des générations a des effets positifs. Sept entreprises sur dix mettent en place des dispositifs de transmission — souvent de manière informelle, via du tutorat ou des binômes. Mais les initiatives intergénérationnelles structurées restent peu fréquentes : seules 24 % des entreprises en ont développé.
Vers un changement de paradigme ?
En somme, le « passage à l’action » prôné par le ministère du Travail est engagé, mais encore inégal. Les outils existent, les représentations commencent à évoluer, mais le changement culturel reste à construire.
Comme l’a souligné Catherine Pernette, directrice régionale de la DREETS en Normandie, c’est à l’échelle des territoires que ce changement doit s’ancrer : « Le vrai enjeu, c’est de faire passer le message jusqu’aux TPE-PME. » Et plus largement, jusqu’à chaque acteur de la chaîne de valeur de l’emploi.
Symbole de cette mobilisation croissante, la journée s’est conclue par la cérémonie de signature de la Charte 50+, portée par le Club Landoy et le groupe L’Oréal. L’occasion de franchir un seuil emblématique : 306 entreprises et structures ont désormais rejoint ce collectif engagé pour l’emploi des 50 ans et plus. Au total, ce sont près de 3,7 millions de collaborateurs qui sont concernés par cette dynamique. Une progression rendue possible grâce au soutien du ministère du Travail, du Groupe AEF info et du mouvement Les Entreprises s’engagent.
Loin de se limiter à une déclaration d’intention, la Charte s’accompagne d’engagements concrets autour de dix axes structurants — du recrutement à la transmission, en passant par la formation, la santé au travail ou l’accompagnement des aidants. Plus de 255 actions ont ainsi vu le jour, portées par des structures de toutes tailles, tous secteurs confondus.
En somme, l’engagement s’enracine. Et la dynamique collective, elle, ne cesse de s’amplifier.