Lexique

Retraite
Décryptage

Lorsqu’il déclare prendre sa retraite en son château de Montaigne pour y méditer et écrire, l’auteur des Essais a trente-huit ans. Il vivra encore vingt et un ans, et fort occupé. Ecrivain, éditeur, maire de Bordeaux, diplomate, voyageur… On connaît l’emploi du temps surboooké de ceux qui ont quitté la vie professionnelle…

Un magazine féminin m’a récemment demandé de décrypter le mot « retraite », mais c’était dans le cadre d’un article sur le yoga… Se retirer quelques jours dans un lieu enchanteur quand on est stressé par son travail, en vue de se reconnecter à la nature et à son moi profond… Voilà le sens sensoriel que le mot tend à prendre aujourd’hui.

Il rappelle ainsi son origine religieuse. Quitter la vie sociale et s’éveiller au divin, à l’harmonie du monde, à l’ordre parfait de la nature… A l’élan vital que chacun porte en soi et peut développer à tout âge…

Mais le mot a aussi une toute autre branche : formé sur la traite au sens de salaire. La re-traite est le second salaire que l’on touche lorsqu’on ne travaille plus.
En français les deux mots – l’un immatériel, l’autre matérialiste -se sont amalgamés pour n’en former plus qu’un.

En espagnol ils sont encore séparés. El retiro n’est pas la jubilacion… Le statut est différent de la jouissance pécuniaire… Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est la façon dont le mot « retiro » s’est chargé de connotations artistiques. El Retiro est ale magnifique parc, luxuriant et vivant, dans lequel se trouve le musée du Prado à Madrid… L’art des jardins n’est jamais loin en Europe de l’art en général et de l’art de vivre en particulier…

Le français de la Renaissance connaissait d’ailleurs ce beau Retirement. Mais contrairement à l’anglais – the retirement – le français moderne ne l’a pas gardé.
Il a cru bon de retremper la notion dans la langue administrative. La retraite est devenue, dans les années 60, une catégorie du droit social. Acquisition chèrement payée d’ailleurs… Le déséquilibre était patent. Toute une longue vie de labeur n’était couronnée que par une courte vie de loisir. En moyenne 7 ans de retraite à l’époque. Moins que Montaigne… Actuellement c’est presque trente ans qui s’ouvrent devant celui ou celle qui prend sa retraite. Un vrai nouveau monde à habiter et arpenter…

Comme souvent, le progrès donne paradoxalement l’occasion de revenir à la source. Au départ, « retraite » est un terme de danse, d’escrime… Il désigne un mouvement que le corps opère vers l’arrière pour mieux reprendre son élan… Se redéployer vers de nouveaux objectifs…

« Retraite », regardons-bien ce mot car bientôt il aura disparu, remplacé une nouvelle fois par ses sens métamorphiques…


Longévité
Les mots créateurs d’images

Les mots font des images. Il est clair que dire que nous entrons dans la société du vieillissement ou dire que nous entrons dans la société de la longévité, n’ouvrent pas sur le même tableau – même si ces deux assertions sont vraies.

Dans un cas, l’Europe, ce vieux continent entouré de nouveaux mondes pleins d’élan – Chine par exemple – croule sous le poids des centenaires, vieux chênes vermoulus, bonsaïs biscornus dont il va falloir prendre soin.

Dans l’autre, le monde occidental, jouissant de progrès scientifiques incroyables, crée des êtres pleins d’ énergie renouvelable, verts et agiles, souriant sous leurs beaux cheveux argentés qui les font ressembler – petite ruse de l’histoire – aux quadras actuels qui luttent contre la chimie dangereuse en ne se teignant plus…

Les mots, créateurs d’images autant que la peinture ou la photo, créent des représentations bien précises : des paradigmes, des visions du monde à partir desquelles il est possible d’agir.

Dans le nouveau paradigme de l’âge, les temps humains ne se succèdent plus autant qu’avant. Désormais, la vie, comme toutes sortes d’autres objets, se recycle… Nous vieillissons certes, mais nous pouvons, par cycles, revivre toujours des formes de commencements. J’écris un nouveau chapitre de ma vie, l’expression est partout…

Commencer son cycle de jeune quinqua ou sexa ou septentia ou plus si affinités avec la vitalité… voilà qui est toujours expérimenter du nouveau.

Dans le monde antique, le novus était le printemps. Le temps neuf qui faisait remonter la sève dans le feuillage le plus ancien et le rendait ainsi longaevus

La notion de longévité vient de là. Elle ne signifie pas le jeunisme, ce désir illusoire d’être un éternel bourgeon. Elle n’est pas l’éternité du même mais l’infini du renouvellement.

Evidemment pour que cette dynamique soit effective, il faut qu’elle s’allie avec d’autres notions qui lui ressemblent : santé, mobilité, sécurité, convivialité…

C’est bien la raison pour laquelle la société de la longévité doit créer des produits et des services inédits. Tout un autre modèle de production industrielle et sociale.

Par Mariette Darrigrand

Sémiologue et animatrice du blog www.observatoiredesmots.com

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